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Circulation et retour des biens culturels appartenant aux collections publiques

12 octobre 2021 | Propositions de loi

Proposition de loi relative à la circulation et au retour des biens culturels appartenant aux collections publiques

Texte n° 41 (2021-2022) de Mme Catherine MORIN-DESAILLY, MM. Max BRISSON, Pierre OUZOULIAS et plusieurs de leurs collègues, déposé au Sénat le 12 octobre 2021.

Exposé des motifs

Mesdames, Messieurs,

Le 16 décembre 2020, la commission de la culture, de l’éducation et de la communication a adopté le rapport de la mission d’information sur la restitution des biens culturels appartenant aux collections publiques. Lancée fin 2019 à l’initiative de Catherine Morin-Desailly qui en assura la présidence, cette mission d’information visait à dresser le bilan de la question des restitutions en France et à permettre à la commission de se forger une doctrine sur le sujet dans la perspective d’éventuels projets de loi visant à faire sortir des biens des collections aux fins de leur retour dans leur pays d’origine.

La France a reçu, ces dernières années, un nombre croissant de demandes émanant de pays tiers visant à lui réclamer des biens appartenant à ses collections publiques. Sept pays africains ont adressé au ministère de l’Europe et des affaires étrangères des demandes en ce sens au cours des cinq années écoulées : le Bénin, le Sénégal, la Côte d’Ivoire, l’Éthiopie, le Tchad, le Mali et Madagascar. Ce phénomène n’est pas propre à la France. Il concerne en particulier toutes les anciennes puissances coloniales qui s’interrogent aujourd’hui sur la manière dont elles doivent traiter les biens culturels de leurs collections nationales issus du patrimoine de leurs anciennes colonies et lancent des travaux de recherche sur la provenance de ces biens.

Les réclamations de biens culturels émanant de pays tiers s’inscrivent dans un contexte global de montée des revendications sur la scène internationale en faveur d’un meilleur accès de tous les pays du monde à leur propre patrimoine et au patrimoine commun de l’humanité. Cette question est particulièrement présente dans les débats au sein de l’UNESCO. Cette organisation internationale chargée de promouvoir la coopération culturelle a initié à partir de 2004 un cycle d’échanges et de réflexion sur la question du retour des biens culturels à leurs pays d’origine, avec une première conférence à Athènes consacrée à ce thème.

La réflexion sur les restitutions coïncide également avec une période marquée par des attentes de plus en plus fortes de l’opinion publique en ce qui concerne la prise en compte des préoccupations éthiques dans tous les domaines de la vie sociale. Cela vaut également pour la gestion des collections et, singulièrement, des restes humains patrimonialisés, dans la mesure où il ne s’agit pas de biens culturels comme les autres. Les visiteurs ont de plus en plus de mal à accepter que l’on puisse exposer des restes humains au public si aucune raison d’ordre scientifique ne le justifie.

À l’initiative respective de deux sénateurs, Nicolas About en 2001 et Catherine Morin-Desailly en 2008, la France a adopté deux lois de restitution de restes humains appartenant aux collections publiques : la loi n° 2002-323 du 6 mars 2002 relative à la restitution par la France de la dépouille mortelle de Saartjie Baartman à l’Afrique du Sud et la loi n° 2010-501 du 18 mai 2010 visant à autoriser la restitution par la France des têtes maories à la Nouvelle-Zélande et relative à la gestion des collections.

Cette seconde loi avait également mis en place une instance scientifique chargée de contrôler les déclassements et cessions de biens appartenant aux collections publiques et de définir une doctrine générale sur ces questions : la Commission scientifique nationale des collections (CSNC). Celle-ci s’est néanmoins déclarée incompétente pour juger des demandes de restitution, bien qu’elle ait été créée par une loi portant sur la restitution de biens réclamés par un pays étranger. Elle n’a donc pas permis de conduire la réflexion prospective sur les restitutions, conformément aux voeux du législateur lorsqu’il a adopté la loi du 18 mai 2010. Elle a été supprimée à l’initiative du Gouvernement par la loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique en raison de ses problèmes de fonctionnement et de son maigre bilan. Il est regrettable que le Gouvernement n’ait pas plutôt décidé d’adapter ses règles de fonctionnement par voie réglementaire pour la rendre plus efficace.

En effet, il manque aujourd’hui une instance de réflexion pérenne en matière de restitutions. Les demandes de restitution constituent une question complexe, qui met en jeu le principe d’inaliénabilité des collections et constitue un défi pour le projet universel de nos musées. Ces éléments plaident pour que les décisions prises ne soient pas le fait du prince mais procèdent d’une démarche et d’une réflexion reposant sur des considérations scientifiques, éthiques et juridiques. Il s’agit du seul moyen pour garantir une continuité dans les décisions prises par la France sur les demandes de restitution, quelles que soient les alternances politiques, pour faciliter la mise en place de coopérations culturelles et scientifiques à l’occasion des demandes de restitution et pour favoriser une approche identique quelle que soit l’origine de la demande.

Si la réflexion en France sur les questions de restitution a été relancée depuis trois ans par le discours du Président de la République, Emmanuel Macron, à l’université à Ouagadougou le 28 novembre 2017 et par le rapport que celui-ci a ensuite commandé à Felwine Sarr et Bénédicte Savoy, elle reste aujourd’hui circonscrite à la question du patrimoine africain. Elle a donné lieu à l’adoption par la France d’une troisième loi de restitution, la loi n° 2020-1673 du 24 décembre 2020 relative à la restitution de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal, qui concerne pour la première fois des oeuvres et objets d’art et non des restes humains. Même si une proportion très substantielle du patrimoine de l’Afrique subsaharienne est aujourd’hui détenue hors de ce continent, cette situation ne paraît pas de nature à justifier un traitement juridique différencié au profit des États africains par rapport aux pays d’autres continents.

D’où les quinze propositions formulées dans le rapport de la mission d’information sur la restitution des biens culturels appartenant aux collections publiques pour manifester la volonté de la France de se saisir de la question des restitutions tout en inscrivant son traitement dans une démarche à la fois scientifique, globale et pérenne. Parmi celles-ci, deux relèvent du domaine législatif et peuvent faire l’objet de manière immédiate d’une initiative parlementaire : la création d’une instance scientifique dédiée à la réflexion en matière de circulation et de retour des biens culturels appartenant aux collections publiques (proposition n° 1), et la mise en place d’une procédure visant à faciliter la restitution de certains restes humains patrimonialisés revendiqués par des pays tiers (proposition n° 15).

L’article 1er crée un Conseil national de réflexion sur la circulation et le retour des biens culturels extra-européens.

Cette instance est inspirée de la CSNC, dont les causes des dysfonctionnements ont été corrigées.

D’une part, son champ de compétences porte clairement sur les demandes de restitution. L’article 1er lui confie pour mission de donner son avis sur les demandes de restitution, sauf celles présentées en application de la convention de l’Unesco de 1970, avant que les autorités françaises n’y aient apporté une réponse. Il impose que cet avis soit publié mais ne lui confère qu’un caractère simple de laisser les pouvoirs publics libres de la décision finale.

Il autorise également le Conseil national à prodiguer des conseils sur les questions entrant dans son champ de compétences à la demande des ministres intéressés ou des commissions chargées de la culture et des affaires étrangères du Parlement afin de les accompagner dans leurs éventuels questionnements prospectifs.

D’autre part, contrairement à la CSNC dont la composition pléthorique a rendu le fonctionnement difficile, le format du Conseil national est resserré autour de douze membres, pour l’essentiel obligatoirement choisis pour leurs compétences scientifiques (conservateurs, historiens, historiens de l’art, ethnologues, juristes). L’article 1er l’autorise à entendre des spécialistes avant de rendre son avis, afin de lui permettre de se prononcer en toute connaissance de cause, même s’il ne comportait aucun expert des biens culturels visés par la demande qui lui serait soumise.

La mise en place de ce Conseil national permettrait donc de répondre à deux objectifs.

En premier lieu, elle contribuerait à préserver le principe d’inaliénabilité des collections en apportant aux pouvoirs publics un éclairage scientifique dans leur prise de décision, réduisant le risque que ladite décision ne soit le « fait du prince » et ne réponde exclusivement à des considérations diplomatiques ou des revendications mémorielles ou communautaires. Il s’agit d’une procédure utile pour éviter des décisions prises sous le coup de l’instant. Elle laisse davantage de temps à la réflexion et facilite la conciliation des différents intérêts, y compris scientifiques et culturels, qui peuvent être associés aux demandes de restitution.

En second lieu, sa mise en place limiterait le risque que la position de notre pays vis-à-vis des restitutions ne fluctue au gré des alternances politiques. Elle permettrait à notre pays d’engager une réflexion de fond en matière de gestion éthique des collections, au sein de laquelle les autorités françaises et le monde muséal joueraient une place centrale.

L’article 2 étend la procédure judiciaire prévue à l’article L. 124-1 du code du patrimoine pour faciliter la restitution de certains restes humains appartenant aux collections publiques.

À la suite des travaux sur la gestion des restes humains patrimonialisés amorcés au sein de la CSNC conformément à la demande exprimée par le législateur à l’occasion du vote de la loi sur les têtes maories, un groupe de travail pluridisciplinaire mis en place conjointement par le ministère de la culture et le ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, s’est mis d’accord sur un certain nombre de critères pour justifier de répondre favorablement à des demandes de restitution de restes humains présentés par des pays tiers, sans avoir à obtenir à chaque fois l’aval du Parlement pour les faire sortir des collections.

D’abord, il doit s’agir de restes humains identifiés, c’est-à-dire, soit de restes d’individus précisément nommés, soit de restes d’individus non nommés, mais dont l’appartenance à un pays ou à une communauté est identifiable.

Ensuite, la demande doit émaner d’un État relayant le souhait d’une famille ou d’une communauté existante située sur son territoire : la demande doit être portée par un peuple vivant dont les traditions perdurent, ce qui peut s’apparenter à une condition d’ancienneté.

Par ailleurs, la demande de restitution doit être justifiée à la fois au regard du principe de dignité humaine, ce qui fait référence aux conditions dans lesquelles les restes ont été collectés, et dans la perspective du respect des cultures et croyances des autres peuples, ce qui renvoie à la finalité de la restitution.

Enfin, la restitution doit permettre d’initier une réflexion commune avec le pays demandeur sur ce qu’elle représente, ce qui signifie qu’elle doit déboucher sur des coopérations scientifiques et culturelles.

Dans les cas où ces différents critères seraient réunis, ce qui supposerait un examen scientifique préalable par une équipe composée de scientifiques français, auxquels il serait souhaitable d’associer des scientifiques de l’État demandeur, la personne publique propriétaire serait autorisée à déposer un recours devant le juge pour faire annuler leur acquisition et ordonner leur restitution à l’État d’origine. Présumés comme n’ayant jamais fait partie des collections publiques, les restes humains dont l’acquisition serait ainsi annulée par le juge ne seraient plus soumis au principe d’inaliénabilité des collections, ce qui signifie que l’autorisation du législateur ne serait plus requise avant leur restitution au pays demandeur.

Une telle procédure judiciaire a déjà été mise en place par la loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine pour les biens culturels qui auraient été volés ou illicitement exportés après l’entrée en vigueur, en France et dans l’État d’origine, de la convention de l’Unesco de 1970 sur le trafic de biens culturels. Elle est prévue par l’article L. 124-1 du code du patrimoine. L’article 2 adapte cette procédure pour ce qui concerne les restes humains.

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