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Démarchage téléphonique abusif

8 mars 2022 | Propositions de loi

Proposition de loi devant mettre fin au démarchage téléphonique abusif et garantir le droit à la tranquillité

Texte n° 566 (2021-2022) de M. Édouard COURTIAL et plusieurs de ses collègues, déposé au Sénat le 8 mars 2022.

Exposé des motifs

Mesdames, Messieurs,

Jamais le démarchage téléphonique ne nous a semblé aussi agressif. Selon une enquête de l’UFC – Que Choisir, 100 % des Français jugent le démarchage téléphonique « agaçant » et constatent qu’il est en augmentation. En moyenne les Français sont importunés 5 fois par semaine mais pour certains cela représente jusqu’à 15 appels par jour, parfois à des heures indues. Certains d’entre eux refusent même dorénavant de répondre au téléphone, ce qui pose des problèmes de sécurité, notamment pour nos aînés isolés mais plus généralement de tranquillité sociale. Les réclamations explosent auprès des associations de consommateurs, y compris pour des litiges relevant du droit de la consommation.

Ce harcèlement doit cesser. Il nous faut entendre l’exaspération de nos compatriotes contre ces pratiques abusives et particulièrement intrusives qui troublent notre quotidien. En ce moment cela concerne l’utilisation du compte personnel de formation, mais demain ?

Pourtant, le législateur a tenté d’endiguer ce phénomène tout en ménageant un secteur économique non négligeable, dont le nombre d’emplois direct est cependant difficilement quantifiable. Ainsi la loi Hamon en 2014 a mis en place le service d’opposition Bloctel qui permet à chacun d’inscrire son numéro pour s’opposer à tout démarchage, à l’exception des partis politiques, des instituts de sondage, des associations et des entreprises avec lesquelles le consommateur a une relation commerciale. En outre, il est toujours possible de déposer une plainte devant la CNIL.

Mais 40% des personnes qui ont fait cette démarche n’ont pas constaté de baisse des appels commerciaux. En effet, depuis début 2018, on dénombre plus de 200 500 signalements de consommateurs inscrits sur Bloctel continuant de recevoir des appels de démarchage à des fins commerciales. Les secteurs les plus signalés étant l’habitat et la rénovation (82 % des signalements), l’énergie (79 % des signalements), le secteur assurantiel (49 %) ou encore la voyance (32 %). Enfin, les données disponibles au 30 septembre 2018 faisaient apparaître que seules 1 062 entreprises avaient souscrits à Bloctel, dont 655 seulement avaient encore un abonnement en cours au 30 septembre 2018. Les réclamations des consommateurs ont conduit à 638 contrôles depuis 2016. Entre juillet 2016 et janvier 2018, 134 entreprises ont été sanctionnées. Il faut également noter la faiblesse des sanctions : 15 000 euros pour une personne physique contactant une personne inscrite sur le fichier d’opposition et 75 000 euros s’il s’agit d’une personne morale.

En temps, le Règlement européen n° 2016/679 dit règlement général sur la protection des données (RGPD) est entré en vigueur le 25 mai 2018. Son article 4 définit le consentement comme « toute manifestation de volonté, libre, spécifique, éclairée et univoque par laquelle la personne concernée accepte, par une déclaration ou par un acte positif clair, que des données à caractère personnel la concernant fassent l’objet d’un traitement ». Cependant le droit de l’Union européenne n’impose le consentement préalable du consommateur que pour la prospection commerciale automatisée, c’est-à-dire les courriels, mails, SMS ou télécopies. L’article L. 34-5 du code des postes et des communications électroniques interdit ainsi « la prospection directe au moyen d’un automate d’appel, d’un télécopieur ou d’un courrier électronique utilisant, sous quelque forme que ce soit, les coordonnées d’une personne physique qui n’a pas exprimé son consentement préalable à recevoir des prospections directes par ce moyen ». Ainsi les numéros de téléphone utilisés pour la prospection commerciale échappent au statut applicable à l’ensemble des données personnelles numériques.

Le 24 juillet 2020 la France renforce son arsenal législatif par l’adoption d’une nouvelle loi qui doit mettre fin à cet abus. Le texte vise à en améliorer l’efficacité par de nouvelles obligations fixées aux professionnels du démarchage téléphonique et un relèvement des sanctions en cas de manquement. Quatre apports sont à noter. Premièrement, l’obligation pour le professionnel de faire vérifier ses fichiers de prospection afin d’y supprimer régulièrement le nom des personnes ne souhaitant pas être démarchées, sous peine d’une amende administrative, dont le montant maximum est relevé à 375 000 euros par manquement pour une personne morale. Deuxièmement, la restriction des cas dans lesquels un professionnel peut contacter un client avec qui il a un contrat en cours pour lui vendre de nouveaux produits. Troisièmement, l’obligation pour le professionnel de définir et respecter un code de bonnes pratiques et d’appeler les consommateurs aux seuls jours et horaires et selon une fréquence qui sont autorisés par décret. Quatrièmement, la nullité du contrat conclu en cas de méconnaissance des règles sur le démarchage et la présomption de responsabilité du professionnel dans cette hypothèse – le professionnel peut bien évidemment renverser cette présomption.

Lors de l’examen du texte le Sénat avait prévenu. C’est la dernière chance de la stratégie qui a été préférée alors, de maintenir le fameux opt-out, c’est-à-dire le principe de l’opposition expresse du consommateur pour ne pas être démarché. Nous en constatons chaque jour l’échec.

Malgré ces nouvelles règles, force est de constater que cela n’est toujours pas suffisant et que nombre d’entreprises ne les respectent pas. Certes, les contrôles doivent être concomitamment et significativement renforcés, mais face à une situation qui ne peut plus durer, nous devons en tirer toutes les leçons.

Ainsi, il nous faut changer de logique pour passer à l’opt-in comme cela est déjà le cas en Allemagne, au Portugal ou, plus récemment, au Royaume-Uni pourtant peu favorable à la régulation et qui a fait la preuve de son efficacité, sans déséquilibrer le marché. Il crée une présomption de refus d’être sollicité. À l’inverse du système actuel, il faudra donc un consentement préalable à l’exception d’une entreprise avec laquelle le consommateur est en relation. Il ne s’agit pas de faire du démarchage téléphonique une exception parmi les autres moyens de communication. Bien au contraire, il est proposé de mettre tous les outils de communication sur le même plan. En effet, le démarchage téléphonique, pourtant plus intrusif que les courriels ou les SMS, bénéficie d’une législation plus permissive.

Tel est l’objet de cette proposition de loi.

Bien entendu, nous ne pouvons ignorer les conséquences économiques que cela représente. Néanmoins, les enjeux et les abus sont trop importants pour ne pas agir. Les Français ont droit à leur tranquillité à leur domicile. Il est également possible d’envisager que cette mesure permettrait de redonner confiance aux Français dans le démarchage dès lors qu’il est consenti et qu’elle aiderait la filière, grâce à ce nouveau cercle vertueux, à se transformer et à se développer.

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